mardi 23 août 2011

Oser dire....

Source : Marlyse Tschui, Fémina N° 9 du 27 février 2000.

Par peur de blesser ou d'être rejetées, certaines personnes évitent d'exprimer ouvertement leurs sentiments. Rien de tel pour fausser les relations et s'enfoncer dans la frustration.


Pratique, la stratégie du non-dit. Une manière fort diplomatique de préserver l'entente cordiale sans jamais se faire prendre en faute. Mais elle est aussi dangereuse: en s'abstenant de dire ce qu'on pense, on ne se montre pas tel qu'on est et l'on est forcément incompris, ce qui provoque, au fil du temps, une souffrance dont on voudrait bien se libérer. Mais comment faire? Quand on a pris l'habitude d'esquiver les problèmes en taisant ses propres désirs ou ses désaccords, la seule idée de parler franchement d'un sujet délicat ressemble à une mission impossible.
«Pour être en relation avec les autres, il faut être en relation avec soi», affirme Sophie Poget Markevitch. Gestalt-praticienne et formatrice en entreprise à Lausanne, elle propose un atelier de communication intitulé «Oser dire les choses»*. Au lieu de s'autocensurer, les participants y apprennent à exprimer les mots qui les habitent et s'initient progressivement à un exercice moins difficile qu'il n'y paraît. Ils découvrent, non sans étonnement, la différence entre ce qu'ils imaginaient et la réalité. En se lançant à l'eau, ils s'aperçoivent que, loin de provoquer le cataclysme redouté (jugement, rejet ou agressivité de la part de l'interlocuteur), la parole vraie permet de rencontrer autrui. «Quand les gens osent parler, ils ne sont plus seuls, souligne Sophie Poget Markevitch. De plus, oser dire aide à comprendre l'autre. Car pour bien communiquer, il ne s'agit pas seulement de s'exprimer avec ses propres mots, mais aussi de les formuler de manière à être accueilli par autrui.»
L'expérience de Bénédicte illustre bien les raisons pour lesquelles on peut être tenté de dissimuler ce qu'on ressent pour plaire à son entourage. Bénédicte a 30 ans. Le comportement de sa belle-mère lui est devenu intolérable. Celle-ci n'a jamais accepté la jeune femme qui lui a «volé» son fils et la traite par le mépris. Quand le couple lui rend visite — fréquemment, car cette dame ne cesse de se plaindre d'être seule et abandonnée — la belle-mère fait comme si Bénédicte n'existait pas et l'exclut de la discussion. Elle accapare son fils bien-aimé sous tous les prétextes et fait des histoires quand il oublie de lui téléphoner. Le mari de Bénédicte n'ose rien dire à sa mère et ne refuse jamais ses demandes («elle est si seule...»). Quant à la jeune femme, elle n'ose rien dire à son mari de peur de le blesser. Mais elle ne supporte plus cette situation et souhaite en finir avec ces faux-semblants. En participant à l'atelier, elle cherche les mots qu'elle pourrait dire à son mari sans le blesser afin de lui faire comprendre qu'elle n'en peut plus. Elle essaie de formuler sa demande, commence par se perdre dans les détails en oubliant l'essentiel, et finit par trouver un langage spontané, simple, pour dire ce qu'elle ressent au fond d'elle: «Pour l'instant je préférerais ne plus voir ta mère. Je respecte le fait que tu ailles la voir, mais moi je n'arrive plus à faire bonne figure.» Le fait de discuter de tout cela au sein du groupe permet à Bénédicte de se rendre compte qu'elle n'est pas fautive, que ce n'est pas à cause de son attitude à elle qu'elle se voit rejetée, que le problème se situe du côté de sa belle-mère, et qu'elle a le droit de faire part de ses sentiments.
«Certains sont persuadés qu'il est égoïste de mettre en avant ses propres désirs, observe Sophie Poget Markevitch. Ils croient qu'il ne faut pas penser à soi, mais aux autres. En agissant ainsi, ils faussent la relation. Tout comme le font ceux qui jouent un rôle pour donner d'eux une image qu'ils croient positive, ce qui ouvre la porte à tous les malentendus. D'autres ont peur de se confier. Je songe à cet homme qui n'a jamais osé parler de lui de manière intime, ce qui l'empêche de vivre un amour vrai. Ou à cette femme qui souffre en silence, s'interdisant de dire à ses collègues de bureau que la manière dont le travail est organisé ne lui convient pas. Elle a l'impression d'être une victime. Mais il faut être conscient que ce que nous ne disons pas peut déclencher la manipulation que nous redoutons.»
Dans son livre Se libérer de l'Anxiété (Ed. J.-C. Lattès), le Dr David Burns évoque également les conséquences de cette recherche obsessionnelle de l'approbation d'autrui: «Vous payez cette dépendance aux louanges par une extrême vulnérabilité à l'égard de l'opinion d'autrui. Comme tout drogué, vous devez constamment absorber des compliments pour éviter les affres du sevrage. Dès que quelqu'un qui compte pour vous exprime sa désapprobation, vous vous effondrez douloureusement, comme n'importe quel drogué en état de manque. Les autres peuvent profiter de cette vulnérabilité pour vous manipuler. Vous cédez plus souvent que vous le désirez car vous craignez d'être rejeté ou méprisé. Vous êtes à la merci du chantage affectif.»
Psychothérapeute et formatrice à Genève, Christiane Schmelzer s'intéresse particulièrement aux difficultés de communication nées de la codépendance, «derrière lesquelles on trouve toujours l'amour qu'on voulait, mais qu'on n'a pas pu, donner ou recevoir» . Ses consultations et ses ateliers** s'inspirent de la méthode de la clarification (clarifier les problèmes et les objectifs, se libérer de la culpabilité et des attitudes figées), offrant diverses approches pour aider les personnes peu sûres d'elles à renouer avec leur personnalité profonde et à s'affirmer face aux autres.
«À force de m'adapter aux autres, commente Christiane Schmelzer, je ne connais plus mes vrais désirs. Peut-être aussi que personne ne m'a jamais demandé qui j'étais ni ce que je voulais… Qu'est-ce qu'un problème ? C'est un désir et un obstacle. Si une personne vient consulter, c'est qu'il y a en elle quelque chose qui n'a pas été entendu et qu'elle a peur de confier à son entourage. Nous pouvons, en l'écoutant réellement, l'encourager à exprimer les émotions enfouies, ce qui atténuera ses craintes. Des gens nous disent parfois: «Cela, je n'avais jamais pu le dire à personne» Le fait de parler de ce qu'ils avaient tu si longtemps crée en eux un petit espace de liberté qu'ils utiliseront ensuite dans leur vie. L'important, c'est d'apprendre à devenir son propre allié. Quand on a de l'estime pour soi, on ne ressent pas le besoin de se cacher. On est également plus à même de comprendre les paroles des autres sans se sentir blessé. Comprendre l'autre ne veut pas dire être d'accord avec lui, mais être capable d'entrer dans son univers. Pourquoi avons-nous tant de peine à nous présenter de manière authentique, pourquoi nos tentatives de communication restent-elles sans effet? Parce que nous avons souvent pris des habitudes de fonctionnement et de pensée que nous ne songeons pas à remettre en cause. Dans notre enfance, nous avons tous subi des conditionnements. Peut-être avons-nous été réfrénés dans nos élans; peut-être avons-nous appris à adopter tel ou tel comportement pour obtenir l'amour de nos parents, sans plus nous demander par la suite s'il correspondait à ce que nous étions vraiment et s'il était encore adapté à nos circonstances de vie actuelles. En comprenant l'origine de nos blocages, nous prenons du recul face à nous-mêmes et devenons capables de nous libérer des attitudes figées tout en nous reconnectant avec des désirs longtemps étouffés. »

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