samedi 21 mai 2011

Aux frontières du Réel : l'annimation 3D


Avec la sortie du très attendu L.A Noire et l’annonce de Tintin 3D se posent les classiques questions du progrès technologique et de sa capacité à mimer, recréer le réel. Une quête toujours plus proche de son dénouement, à moins que… A moins que cette quête ne soit, pas essence, impossible. Parce que le syndrôme « Uncanny Valley » se pose, peut-être parce que l’on n’a pas envie, au fond de nous, de confondre réel et artificiel.
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Les jeux vidéos arriveront-ils un jour à mimer totalement la réalité ? Le cinéma nourri aux images de synthèse a-t-il encore valeur de réel ? Et c’est quoi, cette Uncanny Valley ? Réponses (et nombreuses vidéos) dans la suite…
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Avez-vous joué à L.A Noire, sorti hier ? Tenez, voici la bande annonce :
Et avez-vous vu la bande annonce de l’adaptation ciné de Tintin par Spielberg ? Hop, séance de rafraîchissement de mémoire.
Avis express ? Bof. Avis sincère ? Je n’aime pas. Traitez-moi de blasé, mais ces deux productions ne m’impressionnent pas et pire, me gênent un peu. Pourquoi ? Car elles courent après des chimères.
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LE MYTHE DU PHOTOREALISME
Le jeu vidéo qui court après la réalité ? C’est une constante. Parce que le jeu vidéo est un art qui suit la technologie et que l’étalon mètre de cette technologie, d’un point de vue technique, a toujours été le réalisme. Plus de puissance, d’espace, de techniques pour atteindre ce qui est censé nous plonger plus loin dans l’immersion interactive…
Argument marketing depuis les débuts du jeu vidéo, mais également véritable graal pour l’industrie, ce photoréalisme passe des étapes régulièrement et aujourd’hui, certains jeux singent visuellement la réalité à la perfection pour un oeil moyennement averti. Montrez ainsi les animations faciales de L.A Noire à vos parents ou grands-parents : je vous parie qu’ils n’y verront que du feu si vous ne leur dites pas que c’est un jeu.
Et cette vidéo n’est pas mal non plus, dans le genre.
L.A Noire se pose d’ailleurs en double bon exemple. En plus de statut d’étalon mètre sur la motion capture faciale (et bien sûr, il y a encore mieux en approche), la dernière super production de Rockstar est une nouvelle fois hommage au cinéma. Narration, utilisation de véritables acteurs, langage de mise en scène… Ce polar retro est un vibrant hommage au cinéma. Car le jeu vidéo à toujours pris le cinéma comme modèle dans son développement de média culturel. Il suffit de voir les oeuvres majeures du jeu comme Another World, Resident Evil, Wing Commander, GTA, Call of Duty et consorts… Le jeu vidéo est obnubilé par le cinéma.
Vous pourrez toujours rétorquer que le jeu vidéo, ce sont aussi (et beaucoup) Mario, R-Type ou Street Fighter. Evidemment que le jeu vidéo est une culture riche. Mais le cinéma à toujours pesé dans son développement, ses fantasmes et ses bonds techniques. Une frange influente de ce jeune art pousse donc dans cette direction. Dans ce segment se trouve le cas Heavy Rain, qui a fait couler beaucoup d’encre.
Sur les postures radicales de David Cage, mais aussi sur sa jouabilité, que je qualifierai poliment « d’hybride ». Mais ce qui m’a frappé dans Heavy Rain, ce sont les modélisations et les incarnations de personnages. Vous me direz que sur ce point, tout le monde est d’accord pour féliciter le boulot de Quantic Dreams et que les personnes font plus « réels » que jamais, je pense l’inverse: jamais des personnages de jeu ne m’ont paru aussi artificiels que dans Heavy Rain. Et cela confinait dans mon cas à en être un peu gêné, mal à l’aise: malgré les efforts de réalisme, quelque chose clochait. C’est la théorie de l’Uncanny Valley.
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UNE ETRANGE VALLEE
En quelques mots, Uncanny Vallée, ou Vallée dérangeante, est une hypothèse émise par le roboticien Masahiro Mori expliquant que plus un robot va se rapprocher de la forme humaine (deux yeux, deux bras), plus notre empathie va augmenter. Mais à un certain point, la ressemblance est troublante, mais met alors en valeur ce qui n’est pas humain, entraînant un rejet de l’humain.
Le terme de vallée apparaît puisque cette zone de rejet se trouve entre deux zones d’empathie.
De manière plus complète, voici l’énoncé de Wikipedia :
L’effet de la vallée dérangeante est une réaction psychologique devant certains robots humanoïdes. Son existence a été suggérée par le roboticien japonais Masahiro Mori en 19701. Il décrit le fait que plus un robot humanoïde est similaire à un être humain, plus ses imperfections nous paraissent monstrueuses. Ainsi, certains observateurs seront plus à l’aise en face d’un robot clairement artificiel que devant un robot doté d’une peau, de vêtements et d’un visage pouvant passer pour humain. La théorie prévoit cependant qu’au delà d’un certain niveau de perfection dans l’imitation, les robots humanoïdes sont beaucoup mieux acceptés. C’est pour cela qu’est utilisé le terme de vallée : il s’agit d’une zone à franchir dans laquelle chaque progrès fait vers l’imitation humaine amènera plus de rejet avant de finalement amener une acceptation plus grande.
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L’explication avancée de ce phénomène est la suivante : lorsqu’une entité est suffisamment non-humanoïde pour être immédiatement identifiée comme un robot, un être humain aura tendance à noter ses quelques aspects humains et à avoir une certaine empathie pour cette machine qui se comporte un peu comme un humain mais qui n’est pas plus assimilable que ne serait un animal. Lorsque l’entité a une apparence presque totalement humaine au point de pouvoir provoquer la confusion, une sensation d’étrangeté est provoquée par chacun de ses aspects non-humains. Un robot se situant dans la « vallée dérangeante » n’est plus jugé selon les critères d’un robot réussissant à se faire passer pour un humain mais est inconsciemment jugé comme un humain ne parvenant pas à agir d’une façon normale.
Une autre théorie avancée est que les anomalies de comportement présentées par les robots humanoïdes ressemblent à des anomalies présentes chez des personnes gravement malades ou sur les cadavres. Cette assimilation provoquant un rejet instinctif d’autant plus grand que, s’il existe des normes sociales pour se comporter devant une personne malade ou devant un cadavre, les réactions devant un robot ne sont codifiées par aucune règle sociale.
La principale critique énoncée à l’encontre de cette théorie avance qu’il n’existe pas de technologie suffisamment avancée pour atteindre ce stade de « Vallée dérangeante ». Ah bon ? Regardez donc les derniers robots japonais, angoissants à souhait…
Et bien sûr, cette théorie s’applique parfaitement au jeu vidéo.
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PLUS PRES DE TOI LE REEL
A force de s’approcher de la réalité, le jeu vidéo a atteint ce stade où les petits défauts nous sautent d’autant plus aux yeux et cassent l’attachement affectif que nous pourrions avoir envers les personnages.
Alan Wake est un bon exemple. Après des cinématiques et une ambiance à la Twin Peaks impeccables, on est immédiatement déçu de voir son visage si faux dès qu’il se met à parler, faute à une animation faciale primaire et en contraste avec le reste.
Ce problème n’existait pas et n’existe toujours pas avec un vieux Zelda, dont les graphismes et l’animation autrement primaires nous maintiennent loin de la vallée. Et pourtant, on accroche à 100% à ce cher Link, car nous sommes dans une posture qui reste dans le royaume de l’imaginaire et de la création, pas de la reproduction.
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Chaque génération et chaque bond technologique nous ont fait penser que ça y est, on y est, on a atteint le sacro-saint photoréalisme. Les plus jeunes d’entre vous pourrons sourire, mais à leur époque, des productions comme Daytona USA, Resident Evil, nous ont fait dire « mais comment fera-t-on mieux ? »
La dernière génération de PC et consoles crachent aujourd’hui leurs tripes pour encore nous étonner, mais le rapport à un peu changé.
Déjà et avant tout, le « photoréalisme » est un concept atteint de manière simplement partielle. Si certains décors, textures, objets fixes se confondent totalement avec la réalité, il n’en n’est toujours rien avec le vivant. Malgré les progrès, des choses manquent. D’un point de vue graphique, nous sommes effectivement allés très loin, mais ce visuel met alors en valeur un autre manque : l’animation. Regardez donc L.A Noire. Les personnages ont beau offrir une apparence et des visages très convaincants, dès qu’ils s’animent, on sait immédiatement que quelque chose cloche : une épaule raide, des poignets sana grâce, ces visages encore un peu anesthésiés, ces yeux vides…
Le jeu vidéo tente donc de s’approcher du cinéma, mais vit désormais un passage critique, celui où le réel ne l’est juste pas assez pour emporter totalement le joueur. Celui où, malgré les énormes efforts déployés, chaque détail qui cloche saute encore plus cruellement aux yeux. Et comble du comble, ce problème arrive au cinéma.
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LA FIN DU RISQUE AU CINEMA
Car si le jeu vidéo court vers le cinéma, ce dernier s’approche chaque jour plus près du jeu vidéo. D’un point de vue technique déjà, avec le règne de l’image de synthèse (à forte ou légère dose) et d’un point de vue artistique, avec les styles de mise en scène et d’esthétique.
L’un des symboles de ce cinéma est bien sûr la trilogie Matrix, véritable enfant assumé des deux cultures, ayant enfanté de moult gimmicks visuels (bullet time, fond vert généralisé etc.). Plus récemment, le très décrié Sucker Punch avait poussé le concept (un peu trop, vraiment) loin et Zack Synder expliquait que oui, tout le film était tourné avec des fonds verts non pas par économie, mais parce qu’il préférait travailler comme cela, tout simplement. Le coût ? La perte de contact avec le réel entraîne à terme une perte d’adrénaline.
Car la génération Michael Bay (Transformers), Snyder, Wachowsky & co, à  force de vouloir en mettre plein les yeux avec de l’image de synthèse à gogo et des angles de caméra qui passent dans l’oeil du héros pour ensuite survoler la Terre, à force de vouloir booster le cinéma d’action avec des injections de virtuel, sont en train de tuer l’adrénaline.
Lorsque l’on voit pour la première fois un robot géant se battre et rasant un pauvre passant qui tente de fuir, on fait « wow ». La seconde fois, la mise en scène est tellement exagérée, tourne tellement à la démonstration, que ces faux robots, on y croit paradoxalement plus vraiment. C’est toujours chatoyant pour la rétine, mais comment être encore impressionné par des effets spéciaux désormais classiques, que l’on sait et que l’on sent sortis d’un gros ordinateur ?
Du coup, beaucoup de grands moments d’un film, désormais recrées avec de l’image de synthèse, cassent un peu l’ambiance, car notre oeil de spectateur s’aguerri et l’on détecte immédiatement le faux. Lorsque les grandes scènes de foule sont un peu trop chorégraphiées pour être faite avec de vrais figurants, lorsque certains héros vous font croire qu’ils vont réaliser une cascade de folie alors que l’on grille le raccord acteur / doublure numérique immédiatement…
Honnêtement, je me suis retrouvé trop souvent blasé ces derniers temps en détectant les inserts de faux, aussi sophistiqué soit-il. Mention spéciale aux doublure numériques, qui me font tellement moins tripper que de vrais cascadeurs: même si la technique de doublure reste dans le domaine du faux, on a tout de même l’adrénaline car le cascadeur est vrai et nous rattache au réel.
C’est en cela que j’aime particulièrement certains films d’action dits « réalistes », ces derniers temps. La trilogie Jason Bourne, « Le Royaume » avec Jamie Fox, « Green Zone » (toujours avec Matt Damon) prennent l’action actuelle à rebrousse poil et nous en mettent plein les sens avec leur caméra épaule, les actions et réactions crédibles des protagonistes, les gunfights sans ralentis poseurs…
Ce cinéma d’action « réel » ressort d’autant plus ces derniers temps, au milieux des films abusant trop de l’image de synthèse.
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Dernier mot sur Tron Legacy, qui s’est beaucoup gaussé sur la reproduction ultra sophistiqué de Flynn (Jeff Bridges) jeune. Un premier regard, une première réplique et nous retombons dans les travers du jeu vidéo : le faux se ressent juste assez pour que l’on n’y croit pas du tout – alors que l’on devrait y croire presque.
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NE ME FAITES PAS DIRE CE QUE JE N’AI PAS DIT
Evidemment, mon avis tranché peut créer de nombreux raccourcis. Raccourcis que je coupe immédiatement.
  • Les images de synthèse, c’est bon aussi.
    On pourrait avoir l’impression que je fais un réquisitoire contre les images de synthèse, faux. J’adore les effets spéciaux, la SF etc. Je pense juste qu’actuellement, le pullulement de « CG » commence à nuire au cinéma et à sa crédibilité
  • On peut évidemment convoyer de l’émotion et du vrai avec des images de synthèse.
    Pour cela, il suffit de regarder un film de Pixar. Ses personnages ne sont jamais « photoréalistes », mais comme pour un bon dessin animé, l’émotion passe totalement. Encore une fois, on s’éloigne ici de la Vallée dérangeante et Pixar l’a bien compris. Square Enix, un peu moins…
  • Les progrès technologiques dans les jeux apportent de la consistance et des opportunités de game design.
    Je ne critique pas L.A Noire ou Alan Wake gratuitement. Ce sont d’excellents jeux, mais qui se situent aujourd’hui dans cette phase critique où à la fois trop et pas assez réaliste.
  • Le cinéma n’est pas réel.
    Oh, je vous venir avec vos gros sabots à base de « mais pourquoi tu défends le cinéma, c’est du faux à la base ! » Oui je sais, mais comme toute histoire racontée, le cinéma à besoin de crédibilité pour embarquer le spectateur. Et le gros de cette crédibilité, ce sont les acteurs, leur je et leurs action qui l’incarnent. Les remplacer, même de manière convaincante, se ressent immédiatement aujourd’hui.
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UNE HISTOIRE DE SOLEILS QUI SE MANGENT LA QUEUE ET CA FAIT UNE RIDE AU FRONT
Vous vous rappelez de l’affreux film « The Polar Express » ? Ce conte en image de synthèse avait entièrement modélisé (motion capture, rotoscoping etc.) les acteurs pour en donner des versions virtuelles les plus proches du possible. Et le film ne fonctionnait pas. Pourquoi ? Parce que ces reproductions s’approchait vraiment près des originaux, sans en offrir le souffle de vie. « A quoi bon », pouvait-on alors penser.
J’ai eu la même sensation avec le prochain Tintin de Spielberg. Bien que reprenant un look plus BD, le look’n feel et la direction artistique ne passent pas. Trop réaliste pour du Tintin, pas assez par rapport à une adaptation avec de vrais acteurs. Il manque cette étincelle, qui existe dans la création pure ou dans le réel total.
Dans le film « Quand Harry Rencontre Sally », lors de la déclaration finale, Harry énumère à Sally tous ces petits détails qui font qu’il l’aime. Dans la liste, « J’adore la petite ride que tu as là quand tu me regardes comme si j’étais un dingue« . Et Sally, étonnée par ce discours, le regarde et sa petite ride de front juste énoncée énoncée. Et on rit et on pleure, parce que c’est tellement vrai.
Ce moment n’est jamais arrivé dans un jeu vidéo. Parce que le détail fait partie du réel, mais est si difficile à accomplir artificiel… Il arrivera peut-être un jour, mais est-ce vraiment ce que l’on attend d’un jeu vidéo ? Pas en l’état des choses. La « Vallée dérangeante » est un concept qui me parle, à la manière d’une célèbre histoire de la mythologie : Icare, dont les ailes de cire ont fondu à mesure qu’il voulait voler trop près du soleil. Le réalisme est le Soleil du jeu vidéo, tout comme le jeu vidéo est le soleil du cinéma. Et les deux finissent par se courir après, se manger la queue. Et peut-être se perdre.
Cette chronique sera-t-elle d’un kitsch attendrissant dans quelques années, où nous serons ressortis de la vallée dérangeante, pour embrasser pleinement la fusion entre réel et artificielle ? C’est très possible, j’y crois moi-même, sur la base que le progrès technologique dépasse régulièrement notre entendement. Mais pour le moment, je reste bloqué au creux de la vallée.
(p.s : chère Meg Ryan, je viens de voir des photos récentes de toi, complètement refaite de partout. On va devoir inventer un autre syndrôme pour les actrices qui ne font plus vraiment humaines tellement elles sont fausses :(…)

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